Couscous Royal
C'était samedi soir. Nous attendions des amis pour dîner. Nous avions dit 19 heures. Tout était prêt. Le couscous embaumait.
En attendant que nos amis arrivent, nous ne pouvions rien entamer. Tiens, on va se regarder les infos.
Il est 19 heures. Va pour ITélé.
Titres rapides puis un direct du Zénith pendant une demi-heure jusqu'à ce qu'on sonne à notre porte.
Comment expliquer, comment raconter cette demi-heure ?
Si je voulais faire vite, je dirais : "J'ai vu une folle dingue dans une camisole à la mode"
Mais la vérité est que j'étais estomaqué de voir ce que j'ai vu. Et, bien digérer un couscous, fut-il excellent, quand on est estomaqué, c'est pas de la tarte.
Ajoutons à cela, que j'avais en tête 14 kilomètres de course à venir pour le lendemain et vous comprendrez que j'ai oublié qui était venu dîner.
Elle m'a pourri la soirée la folle dingue. Je n'imaginais pas qu'elle aurait pu aller jusque là. J'ai pensé aux titres des journaux du lendemain, aux réactions des amis et ennemis politiques, à ce billet de blog... Je me disais, c'est bon, cette fois, tout le monde aura compris : Unité nationale face à la folle dingue et c'en est fini d'elle, on va pouvoir parler entre gens sérieux.
Mais non, j'ai aussi vu des gens debout, applaudir, bouche ouverte, en transe, des jeunes et des moins jeunes. Impressionnant et inquiétant. Glaçant plutôt.
Et c'est là que ça fait peur. Que la folle dingue raconte ce qu'elle veut, on s'en remettra. Mais qu'une foule, donc des individus, se laisse happer par la banalité du propos et surtout le ridicule de l'emballage, ça fait froid dans le dos. Que les médias le relaient ça devient surréaliste.
"Fraternité, Fraternité, Fraternité" c'est tout ce qu'elle sait dire. Elle a dû fumer un joint avec un chanteur aux cheveux sales. Sans doute.
Et le lendemain ? Des réactions fades. Chacun son truc ou Je ne rentre pas dans la polémique ; au maximum, on a entendu show, spectacle et quand même sectaire.
Mais c'est beaucoup plus grave que cela !
Comment des milliers de gogos peuvent-ils se laisser abuser par autant de faux accents d'humanité, par autant de charisme feint, par autant de cinéma ?
Mais j'y pense, peut-être y croit-elle elle-même ? Même pas vicieuse, alors ? Même pas manipulatrice, alors ? Non, Monsieur, Folle dingue on vous dit, seulement Folle dingue.
Creux, creux, creux. Elle nous a cité le dictionnaire des noms propres, a récupéré tout le monde, de Cyrano à Coluche. C'est du pillage de patrimoine !
"Le même poujadisme et la même démagogie que Jean-Marie ne vous donnent pas son éloquence. Et je n'écris pas cela avec plaisir.
Les mêmes intonations qu'un prédicateur débutant de la plus petite église de banlieue ne vous donnent pas, à vous, la moindre force convaincante. Et je n'écris pas cela avec plaisir.
Je ne vous en veux même pas, Madame. C'est votre auditoire qui vous porte. Masochiste et béat, il se donne l'illusion de peser.
Je déplore simplement qu'un couscous préparé avec amour ait été mangé sans plaisir.
Je vous laisse Madame, j'ai une télé à casser.
Vous me devez un couscous Madame. Royal s'il vous plait"