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Ambition Passionneur
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20 janvier 2010

Tribune libre à Barbara

Ne vous laissez pas impressionner par la longueur du billet s'il-vous-plait.

MERCI POUR TA CONFIANCE BARBARA

"Aujourd’hui, lorsque l’on me demande "As-tu des amis ?", j’ai du mal à répondre par l’affirmative.Le concept de l’amitié est de nos jours tellement bafoué, mélangé, interprété qu’il est difficile de s’y retrouver. J’ai beau chercher autour de moi, m’interroger sur telle ou telle personne, je n’arrive pas à les considérer comme mes AMIS. Alors oui, ce sont des personnes que j’aime, que j’adore, à qui je pourrais dire les choses les plus intimes, à qui je ferais partager mes moments les plus intenses mais tout au fond de moi, JE SAIS. J’ai eu une AMIE et j’ai su à quel point elle l’était le jour où je l’ai perdue. Ce que j’ai vécu avec elle remonte à 17 ans et mes plus anciens souvenirs, à 27 ans, mais de tous ces moments, j’en ai gardé de merveilleux, ou terribles souvenirs ; tous m’ont marquée au plus profond de moi.

Elle s’appelait Delphine. De 3 ans ma cadette, c’est par nos parents et amis que nous nous sommes rencontrées. Très vite, nous sommes devenues inséparables. Nous étions comme deux sœurs.

Delphine était un joli brin de fille, d’1m 63-65. A 11 ans déjà, elle affolait les garçons sur la plage. Je faisais tellement gamine à côté d’elle avec mon corps d’enfant. Ses courbes avantageuses faisaient tourner la tête aux adolescents et rendaient folles de jalousie leurs soupirantes. Si je devais la décrire, je dirais d’elle qu’elle avait un corps de petite Marilyne, avec de jolies épaules assez larges, un petit ventre très féminin, des hanches généreuses, juste ce qu’il faut, des fesses, ma foi très correctes et de superbes longues jambes aux mollets fins que je lui enviais. Mais c’est sa poitrine qui faisait des envieuses. De beaux seins bien ronds, perchés bien haut qui donnaient à sa silhouette générale, une allure sensuelle dont elle fut rapidement consciente. Sur ce corps si mature, si féminin, une tête mutine, un petit nez en trompette, des dents parfaitement alignées d’un blanc éclatant, de jolies fossettes aux coins de son sourire et des yeux rieurs qui étaient là pour nous rappeler son âge. Sa chevelure épaisse fut à maintes reprises mise à mal par la coloration, permanente et autres coupes exubérantes. Et malgré tout ça, lorsque tout repoussait elle retrouvait ses beaux cheveux bruns presque raides au volume incroyable.

Nous eûmes une période dans les années 85 où notre coupe ressemblait plus à un balai de toilettes qu’à une véritable coiffure. Les cheveux très courts, très masculins, mais c’était la mode. Combien de fois, je me suis faite appelée jeune homme. Elle, jamais !

Notre look allait avec : pantalons à pinces, taille haute, plutôt sombre, bretelles sur chemise blanche. Ah nous étions belles ! J’en garde des souvenirs de cette époque !

Nous adorions nous déguiser et tous les samedis soirs nos parents se retrouvaient pour des parties de cartes. Nous passions nos soirées à défiler. Nous aimions fouiller dans les affaires de sa sœur, de sa mère, et tous les tissus qu’elle tenait de cette dernière qui était couturière. Nous passions du 18ème siècle à la prostituée de base, talons hauts, maquillage outrancier qui faisait hurler nos pères.

Nous passions nos étés sur la plage à jouer au volley. L’hiver nous faisions les belles sur la patinoire. Elle, patins de hockey, moi, patins artistiques. Nous y retrouvions notre petit monde tous les samedis.

Nous avons grandi ensemble. Combien de fois, nous nous sommes disputées, envoyé nos vérités à la figure, piqué nos amoureux. Mais toujours nous nous retrouvions . Elle me reprochait de toujours vouloir avoir raison et moi, secrètement, d’avoir un peu trop souvent raison ! Delphine était ma "Petite sœur ". J’étais là, dans la même maison pour sa première expérience sexuelle. Elle venait tout juste d’avoir 13 ans ! Mon dieu, comme c’est jeune. J’avais 16 ans et je flirtais encore bien sagement quand elle se dévergondait !

Tout le monde la jugeait un peu précoce mais c’était mon amie et après-tout, c’était ses affaires.

Je me souviens des 18 ans d’un copain. Elle n’avait même pas 15 ans. Quelle cuite ce jour là ! Elle n’était pas loin du coma éthylique et c’est moi qui l’ai ramenée chez elle en la soutenant,  qui l’ai déshabillée (Pull, T-shirt, Body, culotte, collants, jeans ! tout ça ! Elle était toujours excessive !) , lui ai tenu la bassine et l’ai débarbouillée. Chez elle rien ne me dégoûtait. Nous allions au WC ensemble, l’une assise sur les toilettes, l’autre par terre pour continuer la conversation.

Et puis elle a rencontré un amoureux à qui elle s’est attachée. Elle en avait tellement connu savant que j’ai un peu douté au début et puis très vite j’ai pu me rendre compte que G… était un garçon pour elle. Plutôt calme, il savait canaliser sa douce folie. Ils formaient tous les deux un bien beau couple. A partir de ce moment-là, nous nous sommes un peu moins vues. Je continuais à butiner, elle était casée. Nous n’avions plus trop les mêmes fréquentations, mais nos chemins ont continué à se croiser, s’entrecroiser, se lier à certaines occasions comme les fêtes, les anniversaires.

Delphine est tombée enceinte, elle venait d’avoir 19 ans. C’était un accident et elle devait se faire avorter. A cette occasion, les médecins lui ont fait faire des analyses sanguines nécessaires avant l’intervention. Les résultats sont tombés, le 16 mai 1992.

Le téléphone sonna à la maison. J’entends encore ma mère me dire "Tiens, ça doit être Nicole qui m’appelle pour me souhaiter bon anniversaire". Elle décrocha et entendit Nicole lui annoncer la terrible nouvelle. Je vis maman changer de visage, elle était blanche. A son regard j’ai compris qu’une catastrophe était arrivée. Je mis le haut parleur et entendis "C’est une Leucémie". Maman raccrocha au bout de quelques instants. Nous étions effondrés à la maison. J’ai su à ce moment-là au plus profond de moi que Delphine était condamnée. Ma première réaction, moi qui suis athée, a été de descendre à l’église pour prier. J’ai traversé la nef centrale les yeux pleins de larmes et je me suis dirigée vers une dame qui entretenait les lieux. Je lui dis tout simplement "Je ne suis pas croyante, mais j’ai ma meilleure amie qui va mourir, on vient d’apprendre qu’elle a une Leucémie, je veux prier pour qu’elle guérisse, j’ai tellement peur pour elle".

Elle a posé ses affaires et s’est jointe à moi pour prier. Je ne savais pas prier, mais elle m’a dit que Dieu m’entendrait quelle que soit ma façon de m’adresser à lui.

Je suis rentrée chez moi le cœur gros.

Nous sommes passés par des moments très durs, des moments très forts, pleins d’espoir et de désillusion. Chaque date était une étape franchie. J’ai voulu lui donner mes plaquettes, mais j’étais moi-même anémiée et ne pouvais pas. Une campagne de recherche pour une moelle osseuse a été lancée dans toute la région, les jours étaient comptés. Ce fut Annabel, sa sœur, qui lui donna la sienne en été. Mais c’était trop tôt, Delphine n’était pas en rémission et les vacances des médecins arrivaient, il fallait faire vite ! La vie tient à peu de choses ! Ils n’auraient jamais dû l’opérer à ce moment-là. Elle passait son temps entre les chambres stériles, sa chambre d’hôpital et chez elle. La Belle Delphine avait perdu tous ses beaux cheveux avec la chimio. Elle porta au début une perruque brune avec un bandeau, un petit air Années 60 qui lui allait à ravir. Elle avait beaucoup maigri. Son corps était devenu osseux, son visage se couvrait d’un petit duvet qui était dû à la Ciclosporine, médicament contre le rejet de la greffe. Son teint était cireux, mais elle était toujours belle malgré ses yeux un peu plus graves, un peu plus vides d’où la vie s’échappait déjà.

On lui passait tous ses caprices. Elle avait décidée de faire la collection des petites breloques que l’on pend sur une chaîne. Tout le monde lui en offrait ; Je lui offris une petite coccinelle en or émaillée de rouge pour lui porter bonheur. Elle aimait les vaches et en recevait de toutes sortes.

Au bout d’un moment elle laissa tomber ses perruques qui la gênaient. Elle aimait jouer avec des foulards de toutes sortes. Elle gardait beaucoup d’humour. On aurait dit qu’elle attendait quelque chose pour partir en paix. En novembre, ce fut mon anniversaire, puis Noël, le jour de l’An. Nous étions contents de l’avoir toujours avec nous. Le 2 mai elle fêta ses 20 ans mais la vie était devenue terriblement lourde pour elle. Elle passa ses derniers jours à l’hôpital.

 

Et puis il y eut le 11 mai 1993. Je travaillais dans une agence de voyage. Paola, une collègue, rentra dans mon bureau, demanda à mon chef de sortir. Son visage était triste et ses yeux mouillés. "Il va falloir que tu sois forte, Delphine est partie, tes parents arrivent, il viennent te chercher". Je me suis effondrée dans ses bras.

Mon père est arrivé une demi-heure plus tard. Il portait des lunettes noires pour cacher ses yeux rougis. Nous sommes montés à l’hôpital.

Je me souviens de ce long couloir que j’ai traversé comme un zombi. Je suis rentrée dans sa chambre. Elle était allongée sur son lit, entourée par sa mère, sa sœur, ses grand-mères et toute sa famille. G… était là aussi, le visage impassible comme muré dans son chagrin.

Son beau visage avait été bandé (pour que sa bouche ne s’ouvre pas, ai-je appris plus tard). Une chape de tristesse s’est abattue sur moi. Je suis sortie immédiatement de la chambre, G… m’a suivie. J’ai fait quelques pas et me suis écroulée par terre, prise d’un malaise. C’est G… qui m’a relevée, aidé par une infirmière. Il m’a prise contre lui et m’a conduite dans une pièce. J’ai longtemps pleuré sur son épaule. Lui, semblait ailleurs comme déconnecté de la réalité.

Ce jour-là j’ai compris que je venais de perdre l’AMIE de ma vie.

Je la revois encore au reposoir, sur son lit de mort, l’air apaisé enfin. J’avais l’impression qu’elle dormait, qu’elle allait se réveiller comme la Belle au bois dormant. Qu’il suffisait d’un baiser mais sa peau était froide. Delphine ne reviendrait plus.

Son enterrement fut douloureux comme tous les enterrements de jeunes, musique à l’église, textes lus par les proches. Je me suis excusée auprès de G… pour m’être laissée aller contre lui. Il m’a réconfortée et m’a dit "Pas de problème".

Voilà, ça fera 17 ans au mois de mai, mais je n’ai rien oublié de ces 10 ans passés avec elle.

Je suis toujours athée et la mort de Delphine n’a fait que confirmer : Comment peut-on accepter la mort d'une si jeune femme ? Ce que j’ai compris aussi c’est que Delphine avait été très précoce, mais ce n’était pas pour rien, quelque part il fallait qu’elle vive en accéléré toute sa courte vie.

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Commentaires
U
Ah mince, je voulais pas spécialement expliquer... C'est juste que dans le scénario des émotions par lesquelles passe le spectateur/lecteur. Dans les visages qui se déforment. Et ben le fil ressemble, je trouve, à celui du film Forest Gump.<br /> Après, le sujet, rien à voir, mais dans la réception quoi (c'est peut-être personnel...).
B
bon... j'avoue que je suis perdu... que dois je en penser Ugo?
U
lu<br /> <br /> Dans le genre d'émotion, c'est proche de Forest Gump. Enfin, je sais pas vous, mais en ce qui me concerne... Bon, je voulais juste marquer "lu" en fait.
B
Merci à tous ceux qui ont pris le temps de lire cette tribune libre.<br /> Ces événements datent mais c'est comme si c'était hier, de relire tout ça me remue encore aujourd'hui et je ne peux évoquer cette amie sans un pincement de coeur. <br /> Hier ma fille s'était assise sur le canapé et relisait le texte déposé ici. Je l'observais de loin... je voyais son visage changer, se déformer, comme il se déforme lorsque l'on veut se retenir de pleurer. Quand elle a fini sa lecture, elle a tourné sa tête vers moi. elle avait les yeux mouillés et elle me souriait.<br /> Mon coeur s'est serré. J'aurais tant aimé qu'elle se connaissent....<br /> Que serait elle devenue si elle était encore parmi nous.<br /> Comme dit LP, mettre des mots sur des maux..... Ce genre de blessure ne guérie jamais totalement, n en garde de profondes cicatrices, douloureuses. Je pense ne jamais avoir fait le deuil de tout ça et je suis certaine que son départ prématuré a inconsciemment influé dans certains de mes comportements, dans mes actes. La façon que j'ai de voir la vie, de vouloir en profiter, et de savoir voir les petits bonheurs quotidiens.<br /> <br /> Merci à toi Claudio pour m'avoir permis de partager. L'impression d'avoir été assis ici, entre amis et de raconter cette histoire, une des histoires de ma vie.<br /> C'est tout ça l'amitié....
T
Barbara, j'ai perdu mon premier amour, il était très jeune lui aussi, et moi aussi j'ai eu l'impression que c'est comme s'il avait toujours su, il vivait sa vie à fond, en accéléré...<br /> Merci de partager ainsi Delphine avec nous.
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