Tribune libre à Barbara
Ne vous laissez pas impressionner par la longueur du billet s'il-vous-plait.
MERCI POUR TA CONFIANCE BARBARA
"Aujourd’hui,
lorsque l’on me demande "As-tu des amis ?", j’ai du mal à répondre par
l’affirmative.Le concept de l’amitié est de nos jours tellement bafoué,
mélangé, interprété qu’il est difficile de s’y retrouver. J’ai beau chercher
autour de moi, m’interroger sur telle ou telle personne, je n’arrive pas à les
considérer comme mes AMIS. Alors oui, ce sont des personnes que j’aime, que
j’adore, à qui je pourrais dire les choses les plus intimes, à qui je ferais
partager mes moments les plus intenses mais tout au fond de moi, JE SAIS. J’ai
eu une AMIE et j’ai su à quel point elle l’était le jour où je l’ai perdue. Ce
que j’ai vécu avec elle remonte à 17 ans et mes plus anciens souvenirs, à 27
ans, mais de tous ces moments, j’en ai gardé de merveilleux, ou terribles
souvenirs ; tous m’ont marquée au plus profond de moi.
Elle
s’appelait Delphine. De 3 ans ma cadette, c’est par nos parents et amis que
nous nous sommes rencontrées. Très vite, nous sommes devenues inséparables.
Nous étions comme deux sœurs.
Delphine
était un joli brin de fille, d’1m 63-65. A 11 ans déjà, elle affolait les
garçons sur la plage. Je faisais tellement gamine à côté d’elle avec mon corps
d’enfant. Ses courbes avantageuses faisaient tourner la tête aux adolescents et
rendaient folles de jalousie leurs soupirantes. Si je devais la décrire, je
dirais d’elle qu’elle avait un corps de petite Marilyne, avec de jolies épaules
assez larges, un petit ventre très féminin, des hanches généreuses, juste ce
qu’il faut, des fesses, ma foi très correctes et de superbes longues jambes aux
mollets fins que je lui enviais. Mais c’est sa poitrine qui faisait des
envieuses. De beaux seins bien ronds, perchés bien haut qui donnaient à sa
silhouette générale, une allure sensuelle dont elle fut rapidement consciente.
Sur ce corps si mature, si féminin, une tête mutine, un petit nez en trompette,
des dents parfaitement alignées d’un blanc éclatant, de jolies fossettes aux
coins de son sourire et des yeux rieurs qui étaient là pour nous rappeler son
âge. Sa chevelure épaisse fut à maintes reprises mise à mal par la coloration,
permanente et autres coupes exubérantes. Et malgré tout ça, lorsque tout
repoussait elle retrouvait ses beaux cheveux bruns presque raides au volume
incroyable.
Nous
eûmes une période dans les années 85 où notre coupe ressemblait plus à un balai
de toilettes qu’à une véritable coiffure. Les cheveux très courts, très
masculins, mais c’était la mode. Combien de fois, je me suis faite appelée jeune homme. Elle, jamais !
Notre
look allait avec : pantalons à pinces, taille haute, plutôt sombre, bretelles
sur chemise blanche. Ah nous étions belles ! J’en garde des souvenirs de cette
époque !
Nous
adorions nous déguiser et tous les samedis soirs nos parents se retrouvaient
pour des parties de cartes. Nous passions nos soirées à défiler. Nous aimions
fouiller dans les affaires de sa sœur, de sa mère, et tous les tissus qu’elle
tenait de cette dernière qui était couturière. Nous passions du 18ème siècle à
la prostituée de base, talons hauts, maquillage outrancier qui faisait hurler
nos pères.
Nous
passions nos étés sur la plage à jouer au volley. L’hiver nous faisions les
belles sur la patinoire. Elle, patins de hockey, moi, patins artistiques. Nous
y retrouvions notre petit monde tous les samedis.
Nous
avons grandi ensemble. Combien de fois, nous nous sommes disputées, envoyé
nos vérités à la figure, piqué nos amoureux. Mais toujours nous nous
retrouvions . Elle me reprochait de toujours vouloir avoir raison et moi,
secrètement, d’avoir un peu trop souvent raison ! Delphine était ma "Petite
sœur ". J’étais là, dans la même maison pour sa première expérience sexuelle.
Elle venait tout juste d’avoir 13 ans ! Mon dieu, comme c’est jeune. J’avais 16
ans et je flirtais encore bien sagement quand elle se dévergondait !
Tout
le monde la jugeait un peu précoce mais c’était mon amie et après-tout,
c’était ses affaires.
Je
me souviens des 18 ans d’un copain. Elle n’avait même pas 15 ans. Quelle cuite
ce jour là ! Elle n’était pas loin du coma éthylique et c’est moi qui l’ai
ramenée chez elle en la soutenant, qui l’ai déshabillée (Pull, T-shirt, Body,
culotte, collants, jeans ! tout ça ! Elle était toujours
excessive !) , lui ai tenu la bassine et l’ai débarbouillée. Chez elle rien
ne me dégoûtait. Nous allions au WC ensemble, l’une assise sur les toilettes,
l’autre par terre pour continuer la conversation.
Et
puis elle a rencontré un amoureux à qui elle s’est attachée. Elle en avait
tellement connu savant que j’ai un peu douté au début et puis très vite j’ai pu
me rendre compte que G… était un garçon pour elle. Plutôt calme, il savait
canaliser sa douce folie. Ils formaient tous les deux un bien beau couple. A
partir de ce moment-là, nous nous sommes un peu moins vues. Je continuais à
butiner, elle était casée. Nous n’avions plus trop les mêmes fréquentations,
mais nos chemins ont continué à se croiser, s’entrecroiser, se lier à
certaines occasions comme les fêtes, les anniversaires.
Delphine
est tombée enceinte, elle venait d’avoir 19 ans. C’était un accident et elle
devait se faire avorter. A cette occasion, les médecins lui ont fait faire des
analyses sanguines nécessaires avant l’intervention. Les résultats sont tombés,
le 16 mai 1992.
Le
téléphone sonna à la maison. J’entends encore ma mère me dire "Tiens, ça doit
être Nicole qui m’appelle pour me souhaiter bon anniversaire". Elle décrocha
et entendit Nicole lui annoncer la terrible nouvelle. Je vis maman changer de
visage, elle était blanche. A son regard j’ai compris qu’une catastrophe était
arrivée. Je mis le haut parleur et entendis "C’est une Leucémie". Maman
raccrocha au bout de quelques instants. Nous étions effondrés à la maison. J’ai
su à ce moment-là au plus profond de moi que Delphine était condamnée. Ma
première réaction, moi qui suis athée, a été de descendre à l’église pour
prier. J’ai traversé la nef centrale les yeux pleins de larmes et je me suis
dirigée vers une dame qui entretenait les lieux. Je lui dis tout simplement "Je ne suis pas croyante, mais j’ai ma meilleure amie qui va mourir, on vient
d’apprendre qu’elle a une Leucémie, je veux prier pour qu’elle guérisse, j’ai
tellement peur pour elle".
Elle
a posé ses affaires et s’est jointe à moi pour prier. Je ne savais pas prier,
mais elle m’a dit que Dieu m’entendrait quelle que soit ma façon de m’adresser
à lui.
Je
suis rentrée chez moi le cœur gros.
On
lui passait tous ses caprices. Elle avait décidée de faire la collection des
petites breloques que l’on pend sur une chaîne. Tout le monde lui en offrait ;
Je lui offris une petite coccinelle en or émaillée de rouge pour lui porter
bonheur. Elle aimait les vaches et en recevait de toutes sortes.
Au
bout d’un moment elle laissa tomber ses perruques qui la gênaient. Elle aimait
jouer avec des foulards de toutes sortes. Elle gardait beaucoup d’humour. On
aurait dit qu’elle attendait quelque chose pour partir en paix. En novembre, ce
fut mon anniversaire, puis Noël, le jour de l’An. Nous étions contents de
l’avoir toujours avec nous. Le 2 mai elle fêta ses 20 ans mais la vie était
devenue terriblement lourde pour elle. Elle passa ses derniers jours à
l’hôpital.
Et
puis il y eut le 11 mai 1993. Je travaillais dans une agence de voyage. Paola,
une collègue, rentra dans mon bureau, demanda à mon chef de sortir. Son visage
était triste et ses yeux mouillés. "Il va falloir que tu sois forte, Delphine
est partie, tes parents arrivent, il viennent te chercher". Je me suis
effondrée dans ses bras.
Mon
père est arrivé une demi-heure plus tard. Il portait des lunettes noires pour
cacher ses yeux rougis. Nous sommes montés à l’hôpital.
Je
me souviens de ce long couloir que j’ai traversé comme un zombi. Je suis
rentrée dans sa chambre. Elle était allongée sur son lit, entourée par sa mère,
sa sœur, ses grand-mères et toute sa famille. G… était là aussi, le visage
impassible comme muré dans son chagrin.
Son
beau visage avait été bandé (pour que sa bouche ne s’ouvre pas, ai-je appris
plus tard). Une chape de tristesse s’est abattue sur moi. Je suis sortie
immédiatement de la chambre, G… m’a suivie. J’ai fait quelques pas et me suis
écroulée par terre, prise d’un malaise. C’est G… qui m’a relevée, aidé par une
infirmière. Il m’a prise contre lui et m’a conduite dans une pièce. J’ai
longtemps pleuré sur son épaule. Lui, semblait ailleurs comme déconnecté de la
réalité.
Ce
jour-là j’ai compris que je venais de perdre l’AMIE de ma vie.
Je
la revois encore au reposoir, sur son lit de mort, l’air apaisé enfin. J’avais
l’impression qu’elle dormait, qu’elle allait se réveiller comme la Belle au bois dormant. Qu’il suffisait d’un baiser mais sa peau était froide. Delphine ne
reviendrait plus.
Son
enterrement fut douloureux comme tous les enterrements de jeunes, musique à
l’église, textes lus par les proches. Je me suis excusée auprès de G… pour
m’être laissée aller contre lui. Il m’a réconfortée et m’a dit "Pas de problème".
Voilà,
ça fera 17 ans au mois de mai, mais je n’ai rien oublié de ces 10 ans passés
avec elle.
Je
suis toujours athée et la mort de Delphine n’a fait que confirmer : Comment
peut-on accepter la mort d'une si jeune femme ? Ce que j’ai compris aussi
c’est que Delphine avait été très précoce, mais ce n’était pas pour rien,
quelque part il fallait qu’elle vive en accéléré toute sa courte vie.