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Ambition Passionneur
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22 janvier 2010

Mémère

Puisque nos grands-mères étaient trop lointaines, trop étrangères, mes frères et moi avions, sans le savoir, adopté une mémère.
C'est comme ça qu'on nous la présentait. "Va demander du sel à Mémère" "Va voir si Mémère n'a besoin de rien" "Emmène ce plat chez Mémère"
Elle était pauvre. Comme nous. C'était sans doute la raison pour laquelle elle n'avait pas de prénom.
Elle était étrangère. Comme nous. Et comme tous les êtres vivants du quartier. Les plus proches Français reposaient au cimetière.
C'était ainsi. Nous vivions par couches. La grand' route, les étrangers au-dessus, la décharge et enfin le cimetière. C'est là où commençait la France, ses jardins, son chemin des écoliers, son église, son école, son commerce.
Mémère était Polonaise. Les Polacks et les Ritals en plus de la solidarité des pauvres et des estrangers avait celle des cathos. Mémère sera la grand-mère du fond de la cour en attendant de retrouver celles du fond de la botte.

Mémère était déjà très vieille et vêtue triste. En gris, tous les jours de l'année. Le visage marqué, chiffonné, craquelé comme terre séchée. Ses lèvres rentrées laissaient dépasser une dent, son unique dent.
Elle aurait fait peur au monde entier, surtout lorsqu'elle remontait la côte du cimetière pour aller au champ, sa faux à la main. Mais le cœur des enfants décèle encore les grandes âmes. Plus tard, des voleurs d'innocence dépouillent ceux qui n'y prennent pas garde de leur pureté angélique.
Alors, le tablier tâché de Mémère était confort pour nos fesses, sa peau abimée, douce à nos visages, et sa rusticité, authentique poésie.

Mais, souvent, les meilleures des femmes ont un défaut.
Le sien était son compagnon. Hélas, ce n'est pas rare.
Il venait "de l'autre côté de la montagne" disait Mémère. Il fallait comprendre que son compagnon était Tchèque et que cela expliquait son caractère rude, taciturne et ombrageux.
Ce vieil homme nous faisait peur. Handicapé, il était toujours assis au même endroit, stratégique, près de la porte. Il insultait souvent Mémère, accompagnant ses injures incompréhensibles de coups de canne à chacun de ses passages.
Chauve, épaules de géant et gros bidon, très gros bidon, il ressemblait au bourreau dessiné sur le livre d'Histoire de l'école. Une moustache hitlérienne achevait le tableau. Aussi la porte aux cauchemars s'ouvrait grand pour des gamins sensibles et imaginatifs.
Aujourd'hui, on le dirait dépressif. Plus simplement, nous le disions méchant.

Si Mémère fumait des Gitanes, le Tchèque consommait du tabac. Et les coursiers que nous étions n'avaient pas trop intérêt à se tromper sur la marque ; ils priaient tout le long du chemin, se signant même au passage devant l'église, pour que le commerçant du village ne soit pas en rupture de stock du carburant indispensable à l'acrimonieux slave.

Qu'importe. Le cœur de Mémère compensait largement les délires de son compagnon.
Une chose est sûre. Si l'une se repose au Paradis, l'autre justifie l'Enfer.


Une autre Mémère chez Didier. C'est elle qui m'a remis la mienne en mémoire. Merci mon ami.

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Commentaires
T
Je l'aime beaucoup ta mémère, et tes textes les plus beaux, pour moi, sont ceux dans lesquels tu livres ainsi des morceaux de toi.<br /> Alors merci.
C
Des entorses au règlement Teb ?<br /> On y croit pas. On veut des preuves ;-)
T
Et moi, j'en avais une aussi !!!!<br /> Et même que c'était la vraie maman de mon papa, et qu'elle vivait avec nous ...<br /> Et même que c'était quelqu'un de bien !!!<br /> Moi, la gauchère, elle m'a appris à me servir de la main droite, sans jamais m'empêcher de me servir de l'autre... Pas de "traumatisme", juste une capacité supplémentaire ;-) Merci, Mémère !!<br /> C'est elle qui m'a donné le goût de cuisiner...<br /> Il fallait écouter, mais je ne me suis jamais senti brimée...<br /> Pas de grandes démonstrations d'amour, mais, à y penser, je suis sûre que j'étais aimée !!!<br /> <br /> Elle est décédée quand j'avais 12 ans... Ce jour là, Papa, qui partait en déplacement loin de chez nous, a fait demi tour (pas de tél portable, à l'époque) et il est rentré juste à temps pour un dernier bisou à sa maman...<br /> <br /> Le mot a pris, dans notre langage moderne, une connotation ironique... mais pour moi, il a toujours la même saveur : celle du respect et de l'affection qui nous liait, Mémère et moi... Et... si je suis quelqu'un de bien (si si si, j'y crois, même si je fais parfois des entorses au réglement ;-))) c'est en partie à elle que je le dois...
C
Ah bon ? Je fais le dur moi ? Je ne crois pas.<br /> Je m'en vas te préparer un billet sur le sujet, tiens !<br /> Tu vois, y'a pas que moi qui inspire les autres.
B
Claudio j'aime quand tu racontes ton enface, toi qui déteste la nostalgie... N'empêche que tu fais remonter un tas de souvenirs chez chacun de nous... C est pas de la nostalgie ça Monsieur?!!! Et c'est pas bon? <br /> Comme tu m'énerve a faire le dur.... Même pas mal, meme pas peur, même pas pleuré, même pas vrai!
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