Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Ambition Passionneur
Ambition Passionneur
Archives
9 mars 2010

Une prof, un casque et un Intermarché

Le feu d'Intermarché, qui d'ordinaire est toujours vert, bascule, ce matin-là, au rouge. Le scooter s'arrête. Sous le casque on cherche une explication, un signe, du sens. C'est parce que c'est dimanche ? C'est pour voir cette jolie femme traverser ? C'est pour penser à acheter du pain ?
Non. C'est pour voir, assise contre le mur, emmitouflée, tête baissée, une mendiante au visage éclairé.
Au pied d'Intermarché, entre capuche, écharpe et guenilles, derrière un gobelet sébile, le regard lumineux d'une femme tranche avec le tableau. L'impression bizarre, qu'elle a mis sa tête dans le trou découpé à cet effet dans un décor. Comme  les touristes le font pour la photo-souvenir.
Bref. Le temps d'un feu rouge, on sent que quelque chose cloche. La mendiante n'a pas la gueule de l'emploi. Même en ces temps où il n'y a plus de stéréotype de l'exclu.
C'est vert. Il faut repartir.
Et le casque fourmille ; ça se bouscule à toute vitesse à l'intérieur.
Une tête de prof. C'est ça. Elle a une tête de prof. Et le casque s'y connait en prof(e)s, il a toujours eu comme un faible pour elles. Il les reconnait, les débusque, les attire. L'expérience lui permet même de deviner la matière enseignée. Lui, qu'on prend toujours à tort pour un prof, a su se spécialiser en "collègues"
Mais là, il a un doute. Prof de Français ou d'Histoire-Géo ?
L'image lui revient ; le regard doux et intelligent a relégué les petites tâches de rousseur et les mèches rousses au second plan.
Prof de Français Bretonne ! C'est dit. Il sait.

La matinée s'écoule et quelque chose ne passe pas. Comment une prof de lettres et de mots Bretonne peut-elle faire la manche au pied d'un Intermarché des Alpes-Maritimes ?
Le casque veut en avoir le cœur net. Il y retourne. Il se penche, lui parle et finit par la convaincre de partager un déjeuner du dimanche en famille, au chaud, de prendre une douche si nécessaire...
Patricia est debout.

Et plus que l'appétit et l'appel de l'hygiène, c'est la parole qui se libère. Et son histoire défile. Le discours est structuré, sobre, digne. Le visage est beau, frais, reposé. Le regard est lumineux, intelligent, sain.
Patricia a bien été professeur, mais d'Histoire et Géographie et la Picardie lui sied mieux que la Bretagne. (Les casques ont l'intuition partiellement juste, qu'on se le dise !)
La manche, c'est récent pour elle. Mais pas si grave. Entre la rue et le trottoir, elle a choisi. 
Elle s'en sortira.  Elle a un objectif et un plan pour l'atteindre. La jolie femme veut fêter son trente-cinquième anniversaire avec Théo, son fils de trois ans, placé en foyer.  Et elle y croit. C'est dans six mois. A la voir on croirait que c'est dans six ans.
Les hôtes osent la question du comment on en arrive là ?
Le résumé est glacial et lourd, sans verbe conjugué.
"Mari adulescent. Photographe pas même artiste, juste technicien. Mauvais gestionnaire de son magasin. Virage du numérique oublié. Alors. Moi, démission-sacrifice. Reprise de la boutique. Lui, rabaissé, coulé, éteint puis envolé. Dépôt de bilan généralisé. Galère. SDF. Théo foyers. Stop"

C'est juste après le café que Patricia part retrouver son mur d'Intermarché. Elle refuse le repos, la douche, les provisions et les euros. Elle accepte la bise et le paquet de Speculos entamé ; "ça m'rappelle mon enfance et Théo adore ça"

Cette histoire aurait pu être vraie, si le casque avait juste osé retourner au pied de l'Intermarché. (Les casques ont la timidité encombrante et paralysante. Qu'on se le dise !)

Publicité
Commentaires
C
Ce raisonnement tient très bien la route Dominique. Maintenant je crois que les gens à la rue sont devenus aussi différents les uns des autres que nous-mêmes.<br /> Alors, effectivement, nos réactions peuvent choquer certains et pas d'autres, notre argent les faire manger ou boire et notre compassion les rassurer ou les humilier.<br /> C'est complexe l'Humain. C'est son intérêt.
D
Moi, je comprends les premières hésitations de Claudio. Je ne sais pas si c'est la timidité qui l'explique. Je pense plutôt à une forme de gêne pas pour soi mais pour l'autre qui fait qu'on hésite à faire la proposition.<br /> Moi qui ai souvent fait venir chez moi des personnes en difficultés, qui ai vu ma mère accueillir toute la misère du monde dans l'appartement familial, je ne parviens pas à faire cette proposition aux sdf que je croise. Je me mets à leur place - ce qui est complètement ridicule, vu que justement, avec mon ventre bien rempli, je ne peux pas me mettre à leur place - et j'ai peur qu'ils ne se sentent humiliés si je veux les aider de cette manière-là. Je n'arrive même pas à leur donner quelque chose à manger si je sors de la boulangerie avec un sac de croissants. J'ai l'impression (mais tout cela est tellement subjectif) que je les respecte davantage en leur donnant de l'argent : à eux de le dépenser comme ils l'entendent.
T
J'ai fait cette proposition une fois à "Claude à la viviane" (comprendre à un Claude SDF qui circulait en transportant ses affaires dans une de ces brouettes à 2 roues qu'on appelle des "vivianes")<br /> Il s'installait plusieurs fois par an dans une espèce de grotte au bord de la route, tout près de chez nous.<br /> J'avais (nous avions) souvent osé le bavardage et la soupe chaude avec ce voisin peu habituel, mais ce jour là il pleuvait, j'ai donc proposé la maison.<br /> Il a refusé. Il savait qu'il y avait des petits enfants plein la maison, et son argument était qu'ils allaient avoir peur de lui !!!<br /> Impossible de l'en faire démordre...<br /> Je me suis contentée de la soupe.<br /> Tu fais remonter des souvenirs...
M
Il suffisait qu'elle se mette en disponibilité, pas besoin de démissionner, elle reprenait du service...<br /> Le mari adulescent, quelle excuse!<br /> Et je sais de quoi je parle...<br /> Une femme doit croire en elle et de ne rien attendre de lui...<br /> Elle survivra et pourra même sauver sa famille!
B
C'est juste Didier. Il en fallait du courage pour oser y retourner. J'admire.
Ambition Passionneur
Publicité
Derniers commentaires
Publicité