La poésie est pourtant partout
Je lisais cette semaine sur un blog ami : "un grain de beauté qui dégringole"
Voilà une phrase qui m'émeut. C'est de la poésie. Tout simplement. Aussi beau que des perles de pluie venues de pays où il ne pleut pas.
Et de fil en aiguille, je me suis posé pour la millième fois la question de la sensibilité à la poésie. Et pour la millième fois, je me suis donné la même réponse. Décevante. Attristante.
Non, tout le monde n'est pas sensible à la poésie. Et je ne parle pas seulement de l'académique, pas même seulement de l'écrite. Car celle du quotidien échappe aussi à des esprits bruts, des masses rustres.
Un sourire ou un regard ne sont plus que des dents ou des yeux. Ils ne s'émeuvent pas, ils chialent. Ils ne frissonnent pas, ils ont peur.
La poésie est pourtant partout.
Je l'ai rencontré chez Picard Surgelés. C'est vous dire.
Je suis dehors. Elle est dedans. Elle ressemble à Gelsomina, l'héroïne fellinienne. Elle lit instantanément dans mon regard. Elle le suit, comprend. J'ai souri à sa voisine de queue à la caisse. Cette dernière me répond. Chemin inverse : Gelsomina suit, comprend. Puis, elle coud un fil entre les images photographiées. Elle en fait un film. Elle sait tout. Qui est qui. Qui fait quoi. Elle sait aussi que je sais qu'elle sait. Et je sais qu'elle sait que je sais.
Alors, l'imperceptible sourire au coin droit des lèvres apparait, complice, poétique. Poésie de dix secondes au maximum qui vous tient trois jours en apesanteur.
Peut-être Gelsomina vole-t-elle aussi. On ne sait pas. Car ni elle ni moi n'avons osé troubler le charme de cet échange anonyme et supérieur. Les deux joues rebondies rosirent à peine, comme pour s'excuser de l'intrusion. Mes deux paupières firent la révérence comme pour pardonner l'affront.
La poésie est partout pour les âmes sensibles et nulle part pour les handicapés de l'émotion.