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Jeanne
Pour les yeux sans regard, Jeanne n'existe pas.
Jeanne a tout d'ordinaire. Aucune coquetterie visible, aucun artifice. Elle passe sans qu'on la voie. Elle chemine en marge des champs de vision.
Elle a la présence et le mouvement fluides au point d'être fuyants, la garde-robe simple et discrète, la progéniture douce et calme et le mari sage et confiant.
Jeanne pourrait être transparente, invisible, passe-muraille, absente même, qu'elle ne manquerait pas à ceux qui ne s'attachent qu'au vernis.
Car la jeune femme a l'attitude noble et fine de ceux qui tracent leur sillon avec régularité. Un sillon droit et affirmé, résultat d'un soc ferme, aiguisé et volontaire. La récolte sera bonne car on sait qu'elle sera bonne. Le labeur est sans effort car l'effort n'est pas effort. Tout est bien.
Puis, au détour d'une conversation, Jeanne lâche une demi-phrase qui vous livre l'essentiel, qui vous ouvre la porte à une compréhension soudain évidente.
Jeanne n'est donc pas muette, pas effacée, pas insipide. Vous vous en doutiez bien sûr. Mais vous attendiez impatiemment une preuve appuyant votre intuition.
Jeanne en trois mots bien pesés a la synthèse équilibrée. Elle n'a rien voulu montrer ni démontrer. Elle a dit. Et tous les brouhahas passés sont renvoyés dans les cordes. La phrase juste a bousculé l'auditoire et n'a froissé personne. La voix douce et tranquille a cloué le bec des bavards. Le raffinement de la dame a soufflé une fraicheur inattendue.
Nul besoin de fanfaronner pour être. La sainteté s'habille de pudeur et de modestie. La générosité vraie n'accule pas l'autre. Elle dégaine au moment opportun, touche à l'endroit précis qui débloque les ressorts de l'évolution. Puis, elle rengaine aussitôt, retourne dans sa coquille et déploie de nouveau ses sens enregistreurs.
Jeanne existe pourvu qu'on sache la voir.
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