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Ambition Passionneur
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22 juin 2010

Un vieux drap de coton blanc

C'est un vieux drap de coton blanc à la bordure ajourée. Il est lourd et pourtant frais. Deux grosses initiales sont brodées en haut et au centre, à l'endroit où, le repliant, les lettres peuvent trôner. A et V. Comme un blason, elles donnent à la pièce entière une prétention involontaire et une fierté de propriétaire. Son contact est rêche et agréable. La mémoire s'en imprègne pour toujours.
Il aurait pu sortir d'une malle familiale, aurait traversé les générations, côtoyé les sachets de lavande et fricoté avec l'amidon. C'est sans doute ce qu'il a fait d'ailleurs, mais son pedigree n'était pas livré avec, le jour où le brocanteur s'en débarrassa.
Qu'a-t-il connu ? Des amours, des déflorations, des adultères, des ronflements, des cauchemars, des accouchements, des viatiques, des crimes peut-être. Nous ne le saurons jamais.
Nous le sortons l'été, sans cérémonie mais avec soin. Son poids concret est aussi abstrait, chargé à coup sûr. Mais il nous fait des nuits légères, apaisantes.
Nous pourrions nous amuser à l'infini à lui inventer des propriétaires, mais par pudeur nous refusons. La peur de percer un secret, de violer une intimité ou de briser l'émotion, nous retient.

C'est le seul drap que nous repassons en totalité sur une seule épaisseur. L'opération prend un bon quart d'heure. Ce n'est plus du repassage, c'est une prière. On s'applique, on bichonne, on caresse du fer. On respecte, on rend le plaisir qu'on y prend. On ne repasse plus, on danse, on va, on vient, en douceur, en langueur.
Avant de le plier, on l'étale, qu'il se repose, qu'il laisse échapper ses vapeurs.
Altier sans être hautain, il accepte sa place dans l'armoire ordinaire, parmi les draps de basse condition, issus de semaines du blanc et autres parures en lots. Comme une favorite ne jalouse pas les pimbêches de faubourgs, il attend son tour, sage et sûr de ses attraits. On s'en sert moins souvent mais toujours intensément.

C'est un vieux drap de coton blanc signé AV.

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Commentaires
C
Le mien porte les initiales de mes grands-parents paternels nés en 1896 et ton billet si poétique m'a émerveillée.<br /> Merci
D
C'est marrant comme on aime tous ces draps un peu trop rêches, un peu trop lourds...
B
Ce matin en lisant comme a mon habitude ton billet j'ai ressenti un manque, celui de ma meme, oú je dormais en été a la campagne dans ces draps rêches et frais, impecablement repassés.... Je n'avais jamais pensé a toutes ces nuits auxquelles ils ont du assister, partagager, accueillir... Tous ces mots d'amour.... J'aime ce romantisme qui sent au moins autant la naftaline que les draps blancs dont il parle......<br /> <br /> Bonne nuit! <br /> Ps: draps disparates et pas repassés.
T
Je trouve qu'il y a beaucoup de sensualité dans le contact avec ces vieux draps métis...<br /> Et... quand je pense au temps passé par nos aïeules pour broder leur trousseau ...
B
Tu me fais penser à mon homme et son drap en lin qu'il sort chaque été.<br /> <br /> J'aime beaucoup ce billet. J'aime imaginer des vies quand je vois de vielles maisons, de vieux objets...<br /> <br /> ---<br /> Nous avons un ami qui vide des maisons sans héritier. C'est apparemment un truc qui ne peut se faire qu'en Alsace-Moselle (droit local). Il nous expliquait que si lui ne vide pas les meubles, le notaire paie n'importe qui pour faire le sale boulot. A savoir, tout est sorti dans le champ le plus proche et brûlé. Un frisson dans le dos m'a parcouru quand il disait ça. J'ai pensé à toutes ces vies effacées par le feu. Pfft. Plus rien. Ces vies dont il ne reste plus de traces d'un coup d'allumette. C'est terrifiant. Il n'y a même pas espoir que quelqu'un imagine une vie à partir des meubles, du linge,... puisqu'il n'en reste que des cendres.
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