Séducteur du dimanche

Tu choisis quelques belles pommes, lui avait demandé son épouse.
Comment peut-on choisir des pommes ? Une pomme, c'est une pomme.
Elle lui avait donné aussi le nom d'une variété, éventuellement une autre. Et surtout pas sous cellophane.
Pas trop chères. C'est par rapport à quoi cher ?
Un peu plus d'un kilo. Oui, mais ça fait combien de pommes ?
Mais, que c'est compliqué d'acheter des pommes ! Il n'y a rien de plus bête : Une pomme.
En plus, lui, n'aimait pas les pommes ; ça lui donnait faim.

Soit. Il s'était proposé d'acheter, pour une fois, des fruits au supermarché pendant que Madame ferait autre chose. Au marché, il avait refusé tout net. Il aurait fallu parler avec le marchand, trouver une astuce pour refuser les lots à 1 euro, accepter de répondre aux remarques sur la météo, les mêmes que la semaine précédente et faire sortir de soi un Merci, Au revoir, A bientôt.
Le supermarché fera l'affaire.

Il prit six pommes avec agacement, les fourgua dans un sachet qu'il mit deux heures trente à ouvrir tant les deux parties étaient collées et se dirigea, l'air vainqueur, vers la balance située sous une affichette prétentieuse indiquant "Espace Pesée". Tout est Espace maintenant, jamais P'tit Coin. Space même parfois et Open Space pour les prisonniers du boulot.
Passons.

Comme tous les timides, il savait anticiper. Aussi avait-il retenu, le nom de la variété, le prix au kilo et surtout le code-balance du produit choisi.
C'est donc, avec assurance, qu'il s'approcha de l'ingénieuse machine, incompétente en matière de bavardages et autres commérages, mais plutôt fiable en pesée et impression d'étiquettes autocollantes.
La place était prise. Il attendra son tour.
Quand on fait la queue, on se met derrière. Lui, se posta devant. Tiens !

C'est que la balance est en main et en sublimes mains. De ces mains qui veulent tout dire. De ces mains qui parlent par les pores, par la danse des doigts, par le raffinement du geste.
Vite, vérifions les chevilles, se dit le macho qui sommeille en lui, les chevilles, ça ne trompe pas. De longues bottes noires frisant, sans doute, les 300 euros chacune, empêchent l'insolent de confirmer sa première impression.
Pendant ce temps, la magnifique peseuse perd ses moyens face à ce latin lourdaud. Elle ne trouve pas le code-balance de ses pommes à elle et ne sait plus l'alphabet. Plus le temps passe plus ses joues chauffent.
Calmement, le regard fixe et dérangeant, l'acheteur de pommes du dimanche annonce qu'il ne l'aidera jamais et qu'il patientera le temps qu'il faudra.
Alors, le centre d'attraction change de place. Des plus bleus yeux du monde, il descend vers le plus beau sourire du monde.
...
Tout finit par arriver et tout finit par s'arrêter.
Les yeux, le sourire et les bottes ont une autre mission, celle de pousser un caddie ordinaire vers des caisses ordinaires et retrouver une vie ordinaire.

Le séducteur low-cost remballe ses émotions, pèse ses pommes et se demande comment on peut encore être contre l'ouverture des magasins le dimanche.

Comments

[Berrybelle]

Ah non la fin... faut pas pousser !

[alex]

c'est vrai que ça se passe ainsi trés souvent dans le rayon fruits et legumes; et quand en plus tu retrouve cet énergumène devant toi à la caisse, tu redoutes le pire pour cette pauvre caissière qui n'en finit pas de désepérer de tous c'est gens incapables de dire un mot sympa, ni bonjour ni merde.... comme si tout leurs était dù; encore heureux qu'ils exigent pas de cette caissière , aussi mal payée que le producteur de pommes, quelle leurs fournissent les "chaussons" ....pour leur pomme !

[gazelle]

C'est vrai ça : te prendre, toi, pour un séducteur low-coast ?

Cela dit, le tour de la question a été rondement fait, bravo !

[Claudio]

Mais comment a-t-on pu penser que c'était autobiographique cette histoire de pommes ?

[Marie]

:-)