Hors-compétition

"Ne pas chercher à séduire. Jamais"
Voilà. C'était dit. C'était devenu un mode de vie, presque une raison de vivre.
Ne pas chercher à séduire.

Mais, ne pas chercher à séduire, c'était déjà se séduire soi. Je me plais à ne pas vouloir séduire.
Orgueil. Double orgueil. Triple orgueil. Détestable orgueil.
L'attention apportée à ne pas séduire eut été trop fatigante. Il fit marche arrière et décida le même jour de relâcher la pression et de ne rien faire.

Miracle. Cela fonctionna.
Sans rien faire, il ne séduisait pas, jamais. Soyons plus précis, il n'avait jamais l'intention de séduire. Il n'initiait aucune action dans ce sens.

Puis, vint l'adolescence et tout se faisait plus compliqué. Les autres. Comme les autres. Acceptation. Mimétisme. Comme les autres. Il fallait faire... comme les autres.

Il essaya une fois, deux fois, dix fois même. Qu'il était gauche ! Qu'il était maladroit ! Toujours à se regarder vivre, il se jugeait à chaque seconde.
Il avait déjà pris d'autres engagements, comme celui de fuir absolument bêtise et médiocrité. S'il continuait dans cette voie de tenter de séduire, il allait finir par se fuir.
Il fallait faire quelque chose.

L'âge avançant, quart de siècle dans le dos, il décida, le naturel revenant au galop, de ne plus mimer l'adaptation, de ne plus coller aux conventions et advienne que pourra.
Et c'est à ce moment-là que le ciel s'ouvrit sur le soleil.

Plus jamais VRP. Plus jamais dragueur. Plus jamais vendeur. Plus jamais de recherche d'un avantage personnel. Plus jamais.
Hors-compétition.
D'autres se seraient sentis abandonnés au bord de la route. Lui, savait que son chemin était parallèle, plus en pente certes, plus accidenté, mais tellement plus lumineux.

Et l'orgueil refit son apparition. De l'extérieur cette fois. Pour qui se prenait-il ?
Les plus aimables trouvaient son attitude encore plus vicieuse et le soupçonnaient de brouiller les pistes, d'avoir des stratégies à quatorze bandes par intérêt personnel. La sincérité est suspecte dans certains codes de pensée.

Puisqu'un jour, les plus proches finirent par comprendre... Il avait réussi sa vie. Quoiqu'il arrive.

Comments

[Claudio]

Merci Victor pour ces commentaires toujours riches et intéressants.
J'opte pour la séduction passive. ;-)

[Victor]

Le raisonnement est construit, la séduction découle naturellement de ce qu’on est, dans certaines circonstances. La sincérité fait partie d’elle. La séduction résulte d’une certaine cohérence de l’être, d’une absence de besoin de tricher. Il n’y a pas d’arrière pensée dans la sincérité, la pensée est entièrement portée en avant. Il y a prise de risque. La force de la séduction vient de là.

[helenablue]

oui je rejoins ce propos de Claudio ...

mon autre questionnement serait : qu'est-ce être sincére ?

[Victor]

Je ne suis pas sûr que le texte de Claudio ait été compris, ou alors c’est moi qui comprend de travers ? Rien de plus séduisant justement, que le résultat de cette ascèse, comme dans le texte de Charles Juliet cité par Helenablue, si ce n’est que je ne partage pas trop cette problématique de moine stylite (je grossis le trait à dessein).

La séduction, c’est réussir à rendre quelqu’un, ou un cercle plus large, à ses arguments. C’est un au-delà de l’argument rationnel, encore qu’un argument rationnel puisse séduire aussi dans un contexte passionnel.

Je dirais par analogie que la séduction, c’est un peu comme le talent qui peut venir couronner un savoir faire. La séduction n’est pas pour moi un artifice, plutôt un art ultime.

Nous cherchons tous à séduire, ne le voyez-vous pas autour de vous ? A moins de se complaire dans l’autisme et de ne pas avoir d’amis. Ne sommes-nous pas contents lorsque nous réussissons à attirer l’attention de ceux pour lesquels nous avons de l’estime ?

Devons nous nous comporter comme un rat mort plutôt que de chercher à séduire ou de nous laisser séduire ?

La séduction est la première étape pour rencontrer les autres, l’étape ultime avec celui ou celle qui deviendra l’être aimé, ou un ami proche.

La séduction met tout notre être en jeu, dans toutes ses capacités. Pas seulement le raisonnement ou des parentés intellectuelles ou artistiques.

Ce peut être un échange de regard, où passe tout ce que nous sommes. Ce peut être la sensibilité de quelqu’un, la forme de son intelligence, comme dans The Elephant Man de David Lynch : http://fr.wikipedia.org/wiki/Elephant_Man_(film)

Je comprends que la question de l’orgueil ou de la sincérité puisse se poser à un homme politique qui cherche à séduire et à convaincre. Il utilise certains ressorts de la conscience (ou de l’inconscience) humaine, il travaille avec rouerie comme certains ont pu le faire pour faire de courants épars un grand parti. Son travail peut être facilité lorsque la conscience politique des militants est faible. Il suffit alors de dire ce que son public a envie d’entendre et vous voilà Jeanne d’Arc. Mais il s’agit là d’une séduction de bas étage qui ne fait pas longtemps illusion. Encore que ..

La séduction dont je parle, la vraie séduction, est inséparable de la sincérité et ne donne pas de l’orgueil une image haïssable.

Dans le jeu de la séduction il y a du plaisir gratuit, du désir, de l’intelligence, de la sensibilité, de l’amour. Cette séduction transcende la banalité.

[christian]

Que les mots choisis pour faire les notes ici sont simples. Que les réflexions quelles engendrent me sont difficiles à exprimer. Est-ce pour cela que je ne fais pas de commentaires ? Parce que derrière eux, je cherche à séduire ? Ou que j'aime un commentaire séduisant ?
Orgueil, orgueil, orgueil !