Transparente
Blandine est un train qui arrive à l'heure.
On nous demande d'en faire le portrait. Et on ne sait comment s'y prendre. On ne sait quoi en dire.
Blandine serait-elle transparente ? Oui et Non. Les deux réponses sont justes.
On tente des qualificatifs neutres et rien ne lui convient.
Blandine existe. C'est sûr. Nous l'avons rencontrée.
Un jour, elle est née. Quelqu'un l'a posée sur des rails et tout fut terminé. Programmée pour le terminus à vitesse constante. La Terre fera ses révolutions sans elle.
Blandine n'existe pas. C'est sûr. Elle ne s'est pas rencontrée.
Végétal passif, son utilité est mystérieuse. Elle est "nature", aime-t-on à dire.
Mais qui pourrait lui en vouloir de n'être QUE nature ?
Heureuse ? Malheureuse ? Ces notions lui échappent. La roue tourne. Le temps passe. L'électrocardiogramme est d'humeur égale quoi qu'il arrive et cela n'inquiète que les autres.
Laissons-la tranquille, elle dort. Couchée, assise ou debout, immobile ou en mouvement, elle dort.
Blandine vit comme vit Blandine. Et c'est tout.
Mais parfois, Blandine rend chèvre ses proches.
Ce vide plein, ce plein vide, on ne sait plus, énerve les "honnêtes gens".
Et les "honnêtes gens" voudraient la faire basculer. Ils la pousseraient même à des excès qu'ils auraient condamnés chez d'autres.
- Vas-y Blandine, bascule. Réveille-toi. La vie t'attend. Il fait beau. Les volcans s'enflamment. La mer déborde. La banquise voyage. L'amour est partout.
Fais quelque chose, mange du piment, vide ton livret A, brûle tes culottes, prend un amant, séduit un moine, une bonne sœur, cours, vole, dérange. Soit une rebelle amoureuse...
Mais à quoi bon, Blandine est frigide des cheveux aux orteils, frigide par tous les sens. Le caviar ne manque pas à ceux qui en ignorent l'existence.
Excellente cliente pour le fatalisme. Elle passe sans effort.