Tout va bien pour Elena
Déjà paru le 17 septembre 2008
Elena est une mère de famille comblée.
Mari, pavillon et deux charmants bambins. Vacances écolos et activités sociales.
Son
tri sélectif est sans failles. Piano et judo ne tombent pas à la même
heure. Le monospace sort de la révision et l'anniversaire de mariage
n'est jamais oublié.
Parent d'élèves engagée, cours de yoga et sorties entre copines. Même pas d'amant.
Tout va bien pour Elena.
Mais, son journal intime, lui, a une toute autre version. Et jour
après jour, il tire à boulets rouges sur Christophe. Christophe, c'est
le mari.
Figurez-vous que ce monsieur a la mauvaise idée d'être
efficace. Tout lui réussit. Il mène de front une carrière
professionnelle satisfaisante sur tous les points et une mission de
mari modèle et de père de famille idéal.
Christophe dort
parfaitement, est serein, s'occupe de sa famille et de nombreuses
tâches ménagères, sans stress, sans plainte et sans qu'on puisse
relever la moindre fissure à l'armure.
Elena en est désormais certaine : son mari se sacrifie et fait
semblant d'être heureux. Il mime le tout-va-bien à chaque instant. Il
veut être parfait. La preuve, il ne s'énerve jamais, ce n'est pas
humain. C'est impossible. Elle l'a lu dans Psychologies et tous les
tests du Nouvel Obs de cet été l'ont confirmé.
Chaque jour, il
évolue. On croit qu'il va s'écrouler, mais lui, en fait encore plus et
le fait encore mieux. Il devient inaccessible. On ne peut rien lui
apprendre, jamais l'étonner.
Elena ne parvient même plus à lui prouver son amour. Elle finit par se persuader qu'il a peur qu'on l'aime.
- Docteur, que dois-je faire, demande-t-elle à son psy. Comment
faire pour qu'il redescende vers nous, qu'il arrête de tout analyser,
de trop réfléchir, d'avoir toujours raison ? Il a lu trop de livres
c'est sûr. Moi, je ne veux pas monter, je veux rester humaine.
- ...
- Docteur, s'il-vous-plaît !
- Vous êtes bonne cuisinière, Madame ?
- Oui. Excellente. Un vrai cordon bleu. Je réussis toujours tout.
- Pourriez-vous me cuisiner un plat qui soit mauvais pour la semaine prochaine, cela me ferait plaisir ?
- ...
Le monospace cala plusieurs fois sur le chemin du retour pendant qu'Elena cherchait le sens de l'énigme.
Elle cherche encore.
Elena pense que son bonheur passe par l'acceptation de son mari d'être "moins", redescendre dit-elle.
Moins efficace, moins compétent, moins efficient, moins infaillible, moins "parfait".
Le psy, fin psy, lui propose de préparer un mauvais repas, elle qui est un cordon bleu.
Ce
faisant, il veut lui faire toucher du doigt la difficulté que
pourrait avoir Christophe à faire MOINS que ce qu'il fait
naturellement. (Comment rater volontairement un repas quand on aime faire la cuisine ?)
J'ai l'habitude de dire "Qui peut le moins, peut le plus". Tous les jours, mes observations me prouvent le bon sens de cette observation.
Rappelons la difficulté que l'on a, à ne pas penser.
Il me semble que dans tous les domaines, il est plus facile
d'accélérer que de ralentir, d'apprendre que de désapprendre, d'évoluer
que de régresser. Et encore plus difficile de freiner sous la pression.
C'est à celui qui est plus bas de monter et pas l'inverse. Mais rien n'empêche de lui faire la courte échelle.
C'est mon avis. Le débat est ouvert.
Et pour secouer un peu notre Elena, elle ferait mieux de prendre en charge une part des responsabilités de son mari, pour le soulager. Elle s'estimerait un peu plus elle-même et ainsi évoluerait, donc ferait évoluer tout le monde.