A chacun sa naïveté
Je suis de ceux qui définissent la naïveté comme une force permettant de conserver foi et espoir. Surtout si on la cultive, si on la revendique. Mieux qu'un état d'esprit, c'est devenu un devoir, une mission.
Bien entendu, naïveté originelle il y a. Seules les fleurs en plastique poussent sans graines.
J'alimente donc ma naïveté pour vivre au plus proche de mes pensées d'enfant innocent et les faire coïncider avec mes convictions d'adulte exigeant.
Mais, ma naïveté personnelle ne s'applique qu'à l'individu, à la nature humaine de l'individu.
Je navigue de "surpris" à "scandalisé" lorsque je constate qu'un être humain est capable de méchanceté, de violence ou même d'indifférence envers son prochain. Parfois, c'est même l'idée qu'on ne fasse pas tout à chaque instant pour rendre la vie de l'autre - proche, inconnu, ennemi déclaré - meilleure, qui me dépasse. Quoi qu'il arrive, je laisse la place à la rédemption possible, au changement salvateur.
Ce n'est pas la nature de l'homme qui le fait mal agir, mais la société qui lui fait croire que la vie est combat, rapport de force et source de conflits, que celui qui ne mange pas sera mangé.
Trêve de banalités.
A chacun sa naïveté, disais-je.
Il en est que je n'ai pas. Elles m'étonnent, me troublent même lorsque je les découvre chez les autres. Avouons-le, il m'arrive d'avoir un attendrissement teinté d'une condescendance coupable devant certaines crédulités :
On joue les vierges effarouchées en découvrant qu'une multinationale envisage de faire des gains de productivité en diminuant le nombre de ses sites ou en maitrisant coûts et charges de personnel. C'est sa raison d'être de gagner de l'argent. C'est ce qui fait que nous vivons dans un monde de privilégiés.
On découvre que les États ont des services secrets et que parfois, ceux-ci éliminent des individus jugés dangereux pour eux. Incroyable !
On va jusqu'à s'étonner qu'un assureur cherche la petite bête pour se soustraire à ses obligations de remboursement, qu'un commerçant ou une banque veuillent gagner de l'argent, qu'un contribuable se glisse dans des niches fiscales. Des commerçants philanthropes ne seraient-ils pas des imbéciles ?
Tout cela ne me choque pas. La frontière doit se situer, selon moi, au niveau de la légalité. (Que l'assureur cherche la faille, d'accord. Mais que le garagiste me casse volontairement mon radiateur, pas d'accord)
De bons sentiments en réactions émotionnelles, on met de la morale partout. Sa propre morale bien sûr.
Ceci étant dit, je ne suis pas naïf, au point de ne pas voir que certains pensent qu'une naïveté affichée n'est que posture et double langage. C'est normal, qu'ils le pensent, c'est comme ça qu'ils vivent.