Pour la fin du monde...
Déjà paru chez Claudiogène le 10 avril 2008
Le boulevard de
Courcelles est ensoleillé, la circulation dense et les robes légères.
Les yeux des embouteillés ne savent plus où donner du regard et les
torticolis guettent.
Depuis la Porte de Champerret, je sens comme une
excitation dans l'air. Paris est une ruche où toutes les femmes sont
reines. Le monde, tout le monde a avalé la pilule du bonheur. Il flotte
un parfum annonciateur de plaisirs orgiaques.
Pourvu que le prochain
feu soit rouge ! Pourvu que le prochain feu soit rouge ! Je pourrai voir
traverser cette beauté sur échasses. Les paquets des grands couturiers
cachent un peu trop les jambes, mais le spectacle reste étourdissant.
Elle a du sortir tout droit de l'affiche publicitaire de chez Decaux.
Le feu est rouge.
Travelling. Les yeux traversent la rue, paupières bées.
File de
gauche, le véhicule voisin est un fourgon de Police. Porte coulissante
latérale ouverte, trois individus de type fonctionnaire assistent au
même spectacle, képis en plus.
- Pas mal, hein ? me lance un
képi moustachu, clin d'œil complice.
Il n'est pas question pour moi
d'avoir la moindre connivence avec l'agent ni d'offrir la moindre
contribution à l'esprit de troupe.
- Je sais pas moi, j'suis
pédé, que j'envoie fièrement.
Les six yeux fonctionnarisés se
consultent, estomaqués. Aucune parole ne trouvera la sortie.
J'arrive
au bureau et raconte l'anecdote.
- Tu as osé ? Moi, je n'aurais
jamais pu.
- Oui, mais toi, c'est parce que c'est vrai.
En
effet, nous sommes cinq collègues dans ce service. Quatre hommes, une
femme. Allez savoir pourquoi, la part d'homosexuels du service est
largement supérieure à celle de la population globale. Soixante pour
cent, deux hommes, une femme.
Mais comment font-ils donc leur
recrutement dans cette boite ?
J'ai passé sept années d'une
grande richesse avec humour sans limites et ouverture d'esprit totale
dans cette entreprise pourtant traditionnelle par ailleurs.
Tous les
matins, l'un des représentants des soixante pour cent précités me disait
:
- Bonjour. J'ai entendu à la radio qu'aujourd'hui, c'est la
fin du monde.
Tout ça parce que j'avais eu la bonne idée de
proposer en cas de fin du monde imminente, un relâchement total
matérialisé par des ébats débridés généralisés.
Ce ne fut jamais
la fin du monde.
Si d'aucuns le regrettent, pour ma part, je m'en
porte plutôt bien.